Après avoir creusé loin dans les racines de l’adolescence et de ses fondations avec Nous Tous, après avoir fait dialoguer culture et travail social à travers les binômes créés par Nos (Re)conquêtes, nous avons voulu explorer une autre dimension de l’intime et du collectif, à travers la question de la liberté et de l’enfermement.
Enfermer, pourquoi, comment ? Pour qui, dans quelles conditions ? Ne pas être entre quatre murs, est-ce nécessairement être libre ? La contrainte physique bride-t-elle forcément la libre pensée, la force créative et le vagabondage de l’esprit ?
Depuis plusieurs années, le ministère de la Culture et le ministère de la Justice s’associent à travers les dispositifs Culture/Justice, en finançant des projets culturels en détention ou à destination des personnes sous main de justice. C’est dans le contexte de ce précieux soutien que s’enracinent ces deux nouveaux projets d’action culturelle au long cours, en s’adressant aux personnes que l’on soustrait volontairement à notre vue, celles que l’on cache pour les « empêcher de nuire ». Mais à quel prix ?
Ce sont les questions que nous avons choisi d’aborder.
– Un projet d’écriture, mise en voix et théâtre mené par la comédienne et metteuse en scène Laurianne Beaudouin, de la compagnie creusoise La Présidente a eu 19, provoquera la rencontre entre des jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, opérateur du ministère de la Justice à destination des mineurs, et des jeunes de la classe d’art dramatique du Conservatoire à Rayonnement Régional de Limoges. D’octobre à décembre 2024, ils s’attèleront en groupes séparés à l’écriture de textes issus de leurs expériences, pour parler de leur rapport au monde dans un contexte coercitif, et évoquer notamment leur vécu autour des thèmes du harcèlement et des discriminations, que l’on soit auteur ou victime.
Puis les deux groupes se rassembleront au mois de janvier pour s’atteler à la mise en lecture réciproque de leurs textes, dont une première restitution publique sera proposée le 20 mars 2025 à l’Artscenic à l’occasion des Zébrures du printemps.
Enfin, le travail de jeu et de mise en scène constituera la dernière partie de l’année, avec pour objectif une restitution aux Zébrures d’automne, et à la manifestation nationale de la PJJ Avenir en scène en région Occitanie en octobre 2025.
A travers ce projet, nous avons souhaité provoquer la rencontre entre deux mondes, et la possibilité de regarder, au-delà de leurs différences, ce qui lie la jeunesse d’aujourd’hui et la fait espérer.
– Un second projet destiné à un public adulte, et orchestré par la compagnie Soleil glacé, basée à Limoges, réunira un groupe de personnes suivies par le Secours populaire français de la Haute-Vienne, dont un petit noyau a déjà participé à un projet artistique de 2020 à 2023 avec les Francophonies, et des personnes sous main de justice purgeant des peines en milieu ouvert (bracelet électronique, travaux d’intérêt général, sursis probatoire, etc.). Intitulé « Barrat deforà », l’occitan pour « fermés dehors », il se constitue d’ateliers à l’année alternant pratique de l’écriture, avec l’auteur et metteur en scène Paul Francesconi, et pratique théâtrale avec la comédienne Yaya Mbilé Bitang. La thématique que nous souhaitons interroger à travers ce parcours est celle de la liberté et de la coercition, sous une forme plus insidieuse qu’elle n’en a l’air : quelles structures, règles, limites nous contraignent et nous enferment, malgré nous, parfois de manière invisible ? Comment les comprendre, les déjouer, et s’en libérer ?
La finalité de ces temps d’atelier, à destination de personnes isolées, pour certaines allophones, rencontrant des difficultés sociales, économiques et professionnelles majeures, est prioritairement la rencontre avec l’autre et le développement du sentiment d’appartenance à un groupe, mais aussi la possibilité de retrouver confiance en soi et valorisation personnelle par l’expression écrite et corporelle.
Rompre la solitude et se sentir fier.e de soi, capable d’aller au bout d’un projet et pouvoir compter sur les autres sont les maîtres mots de ces moments ludiques et libérateurs que constituent les ateliers.
Ces deux projets sont chacun assortis d’un programme spécifique dit « d’accessibilité culturelle », c’est-à-dire de temps d’accompagnement dédiés afin que les personnes bénéficiaires de ces actions puissent s’approprier des lieux culturels, par des visites de « l’envers du décor » de salles de spectacles, visites guidées de musées, parcours de spectateurs.ices dans des théâtres ou des festivals, ateliers de création artistique au sein de musées, etc.
Tous ces temps sont assortis d’un repas ou d’un goûter, afin de prolonger la journée de manière conviviale et de permettre aux groupes de se rencontrer de manière plus informelle (et parce que la nourriture est un vecteur de lien social puissant et réparateur !).